samedi 10 août 2019

Projet, second été, 5.

C'est un projet commencé l'été dernier.
Que j'ai laissé maturer dans un coin, que je reprends et retravaille...
"Comment en êtes-vous arrivés à parler de ça?" Demande Jérémie en attrapant le biberon que lui tend Pierrick. Je lui réponds que je "travaille" au récit de notre aventure commune. 
"Nous en étions au moment où tu as donné l'alerte sur ma disparition. 
- Ah, oui! Jamais je ne me suis senti aussi mal! Pas même le jour où Pierrick m'a présenté à Martine!"
Pierrick fait une grimace. Cet événement restera comme un caillou dans la chaussure de leur couple. Il n'avait pas fait son coming out, jamais seulement évoqué le sujet, laissant ses parents dans l'attente d'une future petite amie, quand il a présenté Jérémie à sa mère en disant: 
"Maman voilà Jérémie, mon fiancé. Au fait, je suis homo!" 
Quand Annabelle, malicieuse, raconte "l'incident" Odette s'étrangle, Andrée toussote. Pierrick, perd sa contenance rigide, son air un peu sévère, sous sa coupe courte et sur son menton bien rasé il rougit et se justifie: "D'une pierre deux coups. Ça lui a coupé la chique. Il valait mieux que ça fasse mal une fois plutôt que deux, non?" 
Odette et Andrée ne semblent pas d'accord. 
Nous, les A, avions beaucoup discuté de cette façon très cavalière de faire porter sur Jérémie le poids de l'annonce. Le choc de la découverte de la différence de leur fils a été terrible pour Martine qui rêvait d'une belle fille. Une belle fille puisqu'elle n'avait pas eu de fille et des petits enfants. Là la belle fille s’appelait Jérémie. Et Martine reporta toute sa déception sur Jérémie. Son fils ne serait pas homo sans Jérémie, c'était Jérémie qui l'avait détourné de sa destinée.
Jérémie qui vivait plutôt sereinement son homosexualité a pris la colère de Martine en pleine figure. Quand elle s'est mise à hurler, cela ne lui avait pas du tout, du tout, coupé la chique, il est sorti de la maison et s'est assis sur le trottoir profondément navré. Ils étaient venus dans la voiture de Pierrick alors il a attendu. Sinon il serait immédiatement parti. Il entendait les cris, les pleurs et pensait à ses propres parents, agriculteurs, qui avaient accepté, sans commentaires, sans critique, son goût pour la mode, son choix d'étude dans la vente, ses sorties et ses petits amis.
Quand Pierrick était enfin sorti et l'avait pris dans ses bras il avait eu un mouvement de recul. Supporter ça? Et puis ils étaient repartis. Il y eu des jours, puis des semaines, sans aborder la question. Pierrick ne parlait plus de ses parents, semblait les avoir rayés de sa vie, mais ils restaient comme une ombre entre eux.
Plusieurs "solutions" furent avancées sur "Belle Doche": le statu quo, apparemment choisi par Pierrick, l'affrontement, mais Martine était à vif, l’approche douce...
Jérémie remis le sujet sur le tapis avec Pierrick et ce fut leur première vraie engueulade. Pierrick estimait qu'en "choisissant" Jérémie il avait prouvé son amour et que la question était réglée. Jérémie pensait qu'elle était comme un abcès en formation qui allait les détruire.
Jérémie voulait, et nous l'avions soutenu, réinstaurer le dialogue. Il voulait que Pierrick renoue avec ses parents (le père était transparent, en fait. Il ne semblait jamais avoir la parole). Comme Pierrick ne voulait pas en entendre parler il le contourna. Il écrivit une lettre à Martine qui disait "J'aime votre fils". Il lui disait son désir d'enfant, d'une vie de famille. Il lui envoya par SMS des photos de Pierrick souriant, de leur maison, de leur jardin, de leurs vacances.
Cela dura des semaines, des mois. Martine ne répondait pas.
Jusqu'à ce que Jérémie l'invite pour Noël.
Un Noël très tendu, Jérémie en était malade, mais qui permis à Pierrick de renouer avec ses parents. Plus ou moins.
 "Donc tu étais inquiet?" Dis-je, en partie pour détourner la conversation. 
- Oui! Tu penses! Pas de nouvelles depuis deux jours au moins! J'ai battu le rappel des A. Et nous avons tenu conseil". 
Il fait du geste le tour de la table. Annabelle épluche des carottes, Andrée les râpe, Alice allaite sa fille, je le regarde. 
"Nous sommes très rapidement arrivés à la conclusion que pour t'aider il fallait te retrouver". Dit Alice, la petite main chocolat d'Angie sur son sein blanc. 
"Mais comment avez-vous fait?" Demande Léa d'une petite voix. 
- Houla, ma chérie, ça n'a pas été facile!" Réplique Andrée. Les seuls renseignements que nous avions, à part son numéro de portable, auquel elle ne répondait pas, étaient ceux qu'avait publié Aimée: les événements qu'elle avait partagés, les dates qui y correspondaient. Son métier, on espérait qu'elle n'avait pas travesti la vérité, celui de Laurent. 
- Et nous avions la date de son décès. Et le fait qu'il y avait eu conflit entre Aimée et les parents de Laurent pour les "modalités" de la cérémonie funèbre." Ajoute Jérémie en redressant Max pour lui faire faire un rot. 
"Annabelle qui était en Afrique a été exemptée de recherche et nous nous sommes partagé ses publications. Ajoute Alice, Angie endormie sur l'épaule. 
"Au bout d'une journée nous avions déterminé qu'elle habitait dans la région de Lyon. Le lendemain nous avions plus ou moins cerné l'endroit où elle travaillait. 
- Comme j'étais rentrée", reprends Annabelle, J'ai épluché tous les avis de décès du coin à la date où Aimée nous l'avait annoncé." 
Mon cœur se serre. Certaines émotions restent vives. Encore. Je fais signe à Annabelle que ça va. Elle reprend: 
"Trois hommes jeunes étaient morts ce jour-là dans ce secteur." 
Le silence qui suit est interrompu par Joseph qui arrive du jardin: "
Quelqu'un a prévu des allumes feu? Parce que le bois n'est pas très sec!" 
Un rire un peu nerveux agite l'assemblée. 
"Quoi?" Interroge Joseph. Avec les espèces de dreads qui se dressent sur la tête, ses yeux ronds et ses mains écartées, il est l'image même de la surprise. Toute la table éclate de rire. 
"Merci, mon amour. lui dit Alice en lui prenant la main. Tu es arrivé pile au moment où on allait tous fondre en larmes."
Ce ne serait que quelques larmes supplémentaires partagées.
Parce que nous avons pleuré, beaucoup, quand les temps ont été noirs, ou gris, ensemble, les A. Et cela nous permet, maintenant, d'apprécier à leur juste valeur les beaux moments.
Ils sont en train de discuter de la meilleure manière de mettre le feu à leur bûcher sans allume feu quand Léa interroge:
"Pourquoi faites vous un aussi gros feu (le tas de bois, palettes, branches, fagots de petit bois culmine à un mètre. Au moins.) alors que vous avez un barbecue électrique à votre disposition?"
Cette fois c'est moi qui lui réponds:
"Ce n'est pas pour cuire la viande. Le feu est prévu pour un moment beaucoup plus important. C'est une sorte de rituel que nous effectuons tous les ans depuis 4 ans.
- Un rituel?" S’étonne Léa.
Odette ouvre des yeux ronds.
"Nous brûlons, chaque année, ce qui doit être brûlé." Lui dis-je.
Odette lève les sourcils mais se tait en voyant les mines entendues de ceux qui l'entourent. Même Léa semble avoir compris.
Je souris, elle verra, comprendra, ce soir.
Les salades, la viande et les boissons au frais, le bûcher prêt (le propriétaire du gîte a promis une surprise pour la mise à feu quand Joseph lui a demandé des allumes feu. Leur conversation a duré un certain temps...), une balade s'organise.
Les petits trépignent. On leur a dit qu'ils allaient voir des moutons. Et peut-être même des chevaux.
Andrée glisse sa main dans celle de Luis et ils prennent la tête, juste après les gosses qui courent, reviennent, repartent. Léa les suit avec Odette qui s’inquiète pour Annabelle:
"Comment vas-tu rouler sur ce chemin?"
Annabelle ronchonne qu'elle crapahute sur des pistes bien pires lors de ses missions et puis elle a Louis pour l'aider au cas où.
"Hein Louis?" signe-t-elle, lâchant une minute ses roues.
Louis rayonne. Bien sûr il sera toujours là pour elle.
Alice sourit, fière de son aîné et jette un œil à Angie blottie dans l'écharpe sur la poitrine de Joseph. Il la porte comme s'il portait le cœur du monde.
A leur suite Jérémie et Pierrick, qui, lui aussi, porte Max, tiennent chacun une main de Julia:
"Une, deux, trois, sautez!"

La petite éclate de rire.
Je ferme la marche la main dans celle de Loïc.
Le fil de l'histoire reprend grâce à Jérémie:
"Grâce aux renseignements que nous avons collecté Pierrick a fait des recherches. Il a appelé ses "collègues" des pompes funèbres de la région que nous avions circonscrite et a retrouvé Laurent. Enfin.. Se rattrape-t-il, la trace de sa crémation. Avec le nom et l'adresse de sa compagne, Vanessa.
- Vanessa? S'étonne Odette.
- M'enfin! Ronchonne Annabelle. Aimée était son pseudo!
- Et maintenant son prénom?" S'étonne encore Odette.
Je réponds: 

"Oui, maintenant mon prénom. Vanessa dite Aimée. Même sur mes papiers. Même pour mes parents. J'ai brûlé mon prénom et ma première vie dans le feu d'il y a quatre ans.
- Ah?!" S'exclament en chœur Léa, qui n'avait peut-être pas tout compris, tous comptes faits, et Odette qui entrevoit  un semblant de sens à tout ça.

 "Une fois qu'on a eu son nom, son prénom et son adresse nous avons tenté d'appeler chez elle. Dit Annabelle.
"Mais, comme pour son portable, pas de réponse. Ajoute Alice.
- Alors j'ai appelé toutes les médiathèques du secteur. Dit Jérémie. Cela m'a pris quelques jours pour tomber sur la bonne. Entre celles qui ouvrent seulement le mercredi et le samedi, celles seulement l'après-midi, celles... Bref! Un jour la dame qui me répond me dit:  

"Je ne peux pas vous passer Vanessa, elle est en congé" et elle s’apprête à raccrocher. J'explique alors que nous essayons de la joindre depuis des jours mais que nous n'y arrivons pas. Pour la rassurer je lui donne son numéro de fixe, celui de son portable, son adresse. Elle hésite encore "Je ne vous connais pas!". Alors je lui explique que je n'ai pas pu être présent à la crémation de Laurent, que je... Et là elle m’interrompt: "Alors vous ne savez pas? Elle a fait un malaise. Après la cérémonie. On l'a retrouvée inanimée dans les toilettes. Elle était comme dans le coma. Elle a été hospitalisée".

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