Un petit choc. Un choc?
Louise ouvre les yeux, elle essaie de se dégager de la couette dans laquelle elle est entortillée. Sa nuit a été agitée, comme souvent ces derniers temps. Comme toujours, plutôt, quand il y a du changement, quand sa vie prend un tournant.
Mais là particulièrement. La formation, la maladie et le décès de Christian, la...
Cela recommence. Ce n'est pas vraiment un choc. Plutôt un petit coup, un sursaut.
Une bouffée d'émotion la submerge. Les larmes coulent. D'abord les larmes, puis les sanglots. De gros sanglots, le nez qui coule. Louise cherche un mouchoir. Elle en avait un prés d'elle hier. Elle n'arrête pas de pleurer en ce moment. Pas de mouchoir. Il a disparu... Louise s’essuie le visage dans ses draps, note intérieurement qu'il faut maintenant qu'elle les lave. Qu'elle les lave puis qu'elle les fasse sécher... Dans ce studio minuscule c'est une mission presque impossible.
Le visage dans la housse de couette Louise se calme. Elle essaie de déterminer si c'est le chagrin ou la joie qui a déclenché cette crise de larmes.
De la joie. Peut-être. Le chagrin c'est évident. Six mois après elle n'a toujours pas réalisé, à chaque fois c'est un choc quand sa raison se fait entendre, qu'elle ne le verra plus. Qu'elle ne pourra plus s'appuyer sur sa rassurante présence masculine. Oui, sa rassurante présence. Son amour tranquille. N'en déplaise à Nicole, sa mère. Heureusement qu'il était là pour lui donner cette dose de masculinité qu'elle lui a refusé en faisant un bébé toute seule, en étant arcboutée contre l'homme en général, contre tout homme en particulier. Féministe ok, misandrie connerie.
Misandrie, c'est Christian qui lui a appris le mot. Pour mettre un mot, justement sur ce que voyait Louise: maman qui refusait de travailler avec un homme, qui était furieuse qu'au CP elle ait un maître, qui ne saluait pas le voisin... "Il y a, derrière tout cela, un vécu difficile." Disait Christian. Il était le seul qu'elle tolérait, de qui elle acceptait les contacts, à qui elle confiait sa fille parfois. Elle avait coupé les ponts avec toute sa famille, oncles, tantes, sauf avec lui, son frère... Lui aussi avait souffert de la violence de leur père, de la disparition tragique de leur mère.
Les yeux bouffis, le nez gonflé, Louise s'assied dans son lit. Son portable indique qu'il est bientôt l'heure de se lever. Elle soupire.
Il lui avait raconté, petit à petit, quand elle est venue squatter son atelier, un peu, beaucoup, passionnément, l'adolescence arrivant.
Le père alcoolique et violent, jaloux. La peur, les baffes. Les départs, la misère, les retours. Puis ce jour où les dames des services sociaux qui sont venues les chercher à l'école. Elle était morte sous ses coups.
Comment un homme aussi... Destructeur avait pu engendrer Christian? Un homme si doux, si droit? Jamais il ne s'est énervé contre elle, ni contre Nicole, sa mère. Et pourtant elles lui en ont fait voir. A chaque dispute avec elle Louise se réfugiait dans son garage, dans l’appartement au dessus et, quelques heures après Nicole débarquait pour jouer la grande scène du deux: cris, pleurs, claquements de portes. Embrassades, larmes.
Louise pose les pieds par terre. Sous ses orteils elle retrouve le mouchoir disparu. Elle se penche pour le ramasser et, toc, ça recommence.
Louise n'a qu'une envie: retourner sous la couette, en boule autour de son ventre. Elle se fait violence, s'extrait du lit. Elle ne va tout de même pas renoncer à cause de ça!
Ça... Il y a une part de vérité dans ce que dit sa mère sur les hommes (sauf Christian!): pas fiables.
En tout cas celui là. Qu'est ce qui lui a pris de sortir, de coucher, avec Romain? Pour provoquer, en quelque sorte, sa mère? Choisir le fils à sa maman, le gars mou, incapable d'autonomie, dépendant?
Juste quand leurs relations s'apaise. Quand, enfin, elle accepte de la laisser choisir sa voie: la mécanique.
L'avantage d'avoir un minuscule studio c'est qu'il n'y a pas loin à aller du lit à la douche. Ou du lit au toilettes. Cela l'a sauvée plus d'une fois, ces derniers mois, quand elle avait la nausée. Dire qu'elle pensait avoir attrapé un virus intestinal quelconque... Nul n'est plus aveugle que celui, celle, qui ne veut rien voir.
Louise ouvre le robinet, retire son t-shirt et se glisse sous la douche. Elle se savonne. Elle s'étonne. Il va falloir réapprendre son corps. Elle qui l'a ignoré pendant tant de semaines. Jusqu'au choc de se "découvrir" enceinte de 4 mois!
En se lavant les cheveux elle planifie sa journée.
Petit déjeuner. Que c'est agréable de le faire seule, en silence, rien que pour cela mettre Romain à la porte était une bonne idée. Quand il n'y a pas d'amour il n'y a que de la gène. Défaire le lit, mettre les draps dans un sac.
S'habiller. Quoi mettre maintenant? Ses vêtements de pin'up, énième provocation pour sa mère, qui sont devenus sa marque de fabrique, ne conviennent plus. Elle va devoir se résoudre à porter un pantalon, une blouse vague. Heureusement en friperie elle déniche des merveilles, à pois, à fleurs, à motifs cerises ou pastèques. Et pour l'atelier? Elle doit se dégoter une cotte de travail plus grande. Elle a mis tant de temps à en trouver une rose. Est-ce que cela existe en grande taille?
Pantacourt rouge cerise, chemisier à manches papillon à fleurs jaunes, sandales compensées vertes. Ses cheveux bouclés séchés dans une serviette elle les discipline, vaguement, avec un bandeau turquoise. Et sourit en l'ajustant dans le miroir: sa palette de couleur, qui fait toujours grincer des dents sa mère, la met en joie.
Alors, voyons... Il va falloir faire plusieurs tours pour charger la voiture. Un pour le sac de draps et son sac de cours.
Une bouffée de... Angoisse mêlée de fierté. Cette semaine c'est les derniers partiels pour l'obtention de son BTS mécanique (maintenance des véhicules option A). Un sacré chalenge de passer d'un bac pro AGOrA (assistance à la gestion des organisations et de leurs activité) à la mécanique. Il lui avait fallu prouver sa valeur, ses compétences. Compétences acquises avec Christian. Aïe, voilà les larmes qui reviennent! Christian ne sera pas là pour la voir réussir. Louise inspire profondément, si elle pleure elle va ruiner son maquillage.
Donc un tour pour les draps... Et si elle prenait au mot Steph, la maman de Romain, qui ne se sent plus depuis qu'elle sait, Romain s'est évidement précipité dans ses jupes dès qu'il a su pour la grossesse, qu'elle va être grand mère? Elle veut se rendre utile? A part rééduquer son couillon de fils, incapable de rien faire sans elle (voilà, sans doute, pourquoi il n'a pas réussi à mettre correctement un préservatif, ce genre de chose ne s'apprend pas avec MoMan)? Elle pourrait lui déposer les draps et les récupérer ce soir. Louise parie qu'ils seraient même repassés. Mais l'idée de demander de l'aide... Non. Elle prendra sa pause déjeuner au lavomatic.
Un tour pour sa boite à outils. Ce soir elle passe chez son copain Théo. Son camion est en panne.
Ce n'est pas très loin de chez sa mère. Ce pourrait être l'occasion...
Il est absolument certain de cela va être explosif. Mais il va bien falloir lui dire. Pour le bébé à venir. Elle va hurler, Louise en est certaine. Lui parler de la maternité comme un asservissement, sûrement. Elle lui rabâchera sa jeunesse, son immaturité, son inexpérience. Lui remettra t-elle dans les pattes Louise Michel qui lui a inspiré son prénom? Féministe, engagée, révolutionnaire.
Louise ferme la porte du studio, descend les escaliers en sautillant presque.
Sûr se retrouver enceinte par accident n'est pas révolutionnaire. L'élever sans le père (Louise le sais, Romain ne sera un père que sur le papier, peut-être un père de week-end, de temps en temps) non plus. Mais pour elle c'est un défi supplémentaire qu'elle va relever, avec ou sans sa mère.
Elle dépose sa boite à outils dans le coffre de sa Dauphine vert d'eau, tant d'heure à la restaurer aux cotés de Christian, et s'installe au volant.
C'est parti! Chaque jour est un nouveau défi!
Parfois, elle est dure la vie! mais je crois que ces petits moments de défis qui la rend palpitante.
RépondreSupprimerC'est évident!
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