jeudi 17 octobre 2013

En pointillé...

...ma nuit. Pleine lune ou prison? Les deux sans doute...
Et après valse d'hésitations je me décide... Je vous raconte:...
Oui, mais comment? C'est une expérience hors du monde, hors du temps, un espace parallèle (c'est voulu me direz vous...), une vague d'émotion. Oui.
Alors je vous raconte comme c'est venu... Dans l'ordre chronologique...
Oui.
C'était prévu depuis 15 jours, depuis ma première visite. Willy est arrivé hier vers 14h, avec des tartes, parce qu'après il était prévu que l'on mange ensemble, après! M'enfin? 
Bon, Gilles mets les gosses en boite, les tartes au frigo et nous nous mettons en route. Et la route est longue, une heure trente... Et peu attractive... La Beauce c'est... morne (désolée Lapunaise, je n'arrive pas à la trouver belle...). Alors on parle... Willy parle, parle de sa vie sans elle, en marge d'elle, de ses allers retours, de ces heures passées dehors à attendre de ses nouvelles... A attendre des nouvelles "du dossier", de ces avancées... A attendre des nouvelles de l'avocat... De bonnes, il y a espoir... Mais l'espoir peut être cruel aussi... Oui...
Willy parle de sa vie sans elle, du quotidien, des enfants... Et les enfants, écoutent, écoutent et dorment aussi...
Une heure et demie de route et nous voici arrivés. Je ne connais pas Orléans et nous n'en voyons pas grand chose... La maison d'arrêt est tapie, là, au milieu des barres, des immeubles... Une fois la voiture garée nous allons boire un café, pour reprendre pied, pour finir de se mettre en mode visiteur, dans un petit préfa accueillant. C'est "l'espoir" qui nous reçoit, qui écoute, qui console, qui déculpabilise... Nous y croisons des jeunes femmes, des enfants, des bébés, qui sortent du parloir des hommes... Les gens se saluent, se parlent, de tout, de rien. Ou ne disent rien... 
Et comme c'est le "grand" parloir, une heure, au lieu d'une demie heure, une fois par mois, il y a du monde. Il y en a que viennent de loin (Nîmes?). Il y en a qui viennent pour la première fois, les traits tirés, inquiets, dans la queue, sous la pluie devant la porte, minuscule, à coté du portail, énorme... Nous faisons la queue parce qu'on n'entre pas comme ça, il y a des règles, un rituel, des habitudes.
Tout d'abord il faut être autorisé, par le juge. Willy ne l'est toujours pas, depuis plus de 4 mois...
Puis il faut avoir réservé son parloir, il y a une borne pour ça, au fond d'un cagibi, sur le coté du... guichet d'accueil (?). Et puis à part sa carte d'identité, il ne faut tout laisser dehors. Sac, clés, bijoux (cette fois j'ai retiré mes bracelets). Rien ne rentre, sauf le sac de vêtements.
Le gardien qui "tient" la porte contrôle l'identité de tous les visiteurs, vérifie leur autorisation (Jeanne a une très grosse pile de cartons verts) puis débloque la porte d’accès au premier sas. On y entre deux par deux, de toute façon, il n'y a pas de place pour plus... Et l'on passe sous le portique de sécurité, le sac de linge dans le tunnel (comme dans les aéroports). Certains quittent leurs chaussures qui font sonner, d'autres leur ceinture... Un homme doit ressortir, son sac de vêtement contient des chaussures pour une détenue qui ne peuvent entrer de cette manière (seulement neuves et dans leur emballage d'origine), il doit les laisser dehors pour pouvoir revenir.
Une fois que plus rien ne sonne nous traversons la cour, la première, et entrons dans une salle d'attente (?), fermée, surchauffée, sombre... Où chacun garde pour lui ses sentiments, ses angoisses, ses espoirs. Il y a là des personnes âgées, des femmes éreintées, des mères... Un père aussi qui a amené sa petite fille, un mari. Pas de conversations, là. Ou à voix basse, entre soi. Et l'on observe, par la vitre de la porte, la vie des bureaux, les allers retours ponctués de portes claquées. Et l'on attend.
Un moment. Les enfants balancent les pieds, se tortillent sur leur chaise.
Puis grésillements de talkiewalkies, un gardien nous ouvre pour nous diriger vers un nouveau sas... Re portique, re chaussures, ceintures qui sonnent, que l'on doit ôter...  Et l'on traverse une autre cour, avec la vision plus claire du bâtiment de la prison, vieux, triste, cerné de grillages, de barbelés... Les gosses se tordent le cou espérant apercevoir quelqu'un à une fenêtre (peut-on appeler ça fenêtre?).  
Bon.
C'est le moment de déposer le sac de vêtements dans une sorte d'armoire extérieure... Il sera fouillé pendant le parloir, les objets interdits en seront retirés... Il sera remplacé, au retour, par le sac de vêtements à laver...
Nous voici presque au but. stockés, serrés dans une entrée aux murs de carreaux de verre. Nous voici enfin à portée de celles qui vivent entre ces murs parce que le malheur est passé par elles... Accidentellement ou pas... Intentionnellement ou pas... Elles sont là.
Enfin, pas encore dans le parloir. Le gardien nous y enferme, famille après famille... Dans des boxes, peints en jaune, pour faire gai, alors qu'ils sont d'une tristesse affligeante, pour faire clair, alors qu'il n'y a pas une seule fenêtre. Les portes de chaque coté des boxes sont vitrées mais c'est pour donner sur deux couloirs aveugles et l'on se retrouve entre...
Les enfants tendent l'oreille mais il faut encore attendre, serrés les uns contre les autres alors "Noisette", la fille de Jeanne parle. Des gens qui ne leur parlent plus que de ça, pleins de sollicitude, mais que de ça... Et puis des gendarmes si nombreux ce jour là, et puis des curieux, en file serrée devant chez eux... Moui...
Et soudain, une certaine agitation... Des voix et les garçons qui se collent le  long de la porte vitrée, qui essayent de voir Jeanne, que l'on entend, qui souhaite un bon anniversaire au mari de sa codétenue...
La voilà!!! Jeanne! Et elle présente, encore une fois, de nouveau, mais ne s'en lasse pas, ses enfants à la gardienne et les embrasse et les papouille et les embrasse...
Et l'on se pose, là, en tas dans ce cagibi que l'on oublie. Pour raconter le dehors à celle qui est dedans, pour faire passer les messages, d'amitié, de solidarité, d'amour aussi... Pour raconter le dedans à ceux qui sont entrés, son quotidien, le soutien qu'elle reçoit, la psychologue, les lettres nombreuses, l'espoir apporté par l'avocat... Et aussi le soutien qu'elle apporte aux autres femmes...
Elle est comme ça Jeanne, elle s'occupe des gens, toujours...
Et le temps passe, vite, et de nouveau une certaine agitation: ça bouge... La gardienne ouvre la porte du parloir: c'est l'heure. L'heure des bisous, des embrassades, des derniers "je t'aime" lancés par les enfants au delà des boxes, au delà du couloir le long duquel nous repartons suivi du gardien chargé des familles... Et l'on s'entasse dans l'entrée exiguë, les garçons font des "au revoir" de la main à travers les carreaux de verre...
Hop nous voici dehors, dans la cour. Hop, le sac... Hop, le couloir... Hop, l'autre cour et puis tous, comme des sardines, dans le sas de sortie pour récupérer nos cartes d'identité. Nous voici dehors. Tiens, il ne pleut plus, le soleil pointe même son nez...
Nous repartons. Et la route est longue, une heure trente... Et peu attractive... La Beauce c'est... morne (désolée Lapunaise, je n'arrive pas à la trouver belle...). Alors on parle... Cette fois ci c'est "Noisette" qui parle, qui fait le compte rendu, exhaustif,  du parloir à son père. Et elle y met du cœur!!! La route en parait presque moins longue... Et puis Willy... Qui parle mariage... Jeanne a toujours eu envie, pas lui, jusque là, mais quand tout sera terminé, quand le procès sera passé, il la demandera, sa Jeanne, et il la mariera... Il a déjà prévu, réfléchi au budget...
Une heure et demie de route et nous voici arrivés.  Willy va chercher les autres enfants et nous partageons un chili. Et les histoires de Gilles! Ah, ça nous avons bien rit au récit de ses aventures pour changer une batterie, pour réparer un commodo... Gilles, le roi de la mécanique auto.
Et on a mangé les tartes, bien sur!
                                    

22 commentaires:

  1. Une histoire qui laisse un goût amère.
    J'aimerai tant que tu nous racontes très très rapidement une fin heureuse.

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  2. C'est terrifiant...bouleversant...

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    1. Et encore je vous raconte une visite. Nous ne sommes pas dedans!

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  3. en espérant vraiment une fin heureuse même si cela laissera une profonde cicatrice pour tout le monde.
    Je pense à toi et David et vous soutient dans ces moments difficiles à vivre
    bises
    Marie

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    1. Merci Marie. Mais nous ne faisons pas grand chose. Il faudra peut être se mobiliser, plus tard.

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  4. Dur pour vous tous qui l'accompagnez de votre mieux. Dur pour elle, qui reste digne...Pourvu que le mariage puisse avoir lieu rapidement....et que cette mauvaise période soit...derrière.

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    1. Le mariage n'est pas la priorité. Et pour lui demander il faut qu'il puisse lui demander.

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    2. J'avais bien compris.. Disons que ça voudrait dire que ce cauchemard est terminé ..mais...j'imagine qu'il y a encore plusieurs étapes à passer...

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    3. Un pas après l'autre. :-)

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  5. Le bruit des clés, des pas qui traînent, des chuchotements, des grilles qui se ferment, je les ai entendu. J'ai aussi senti ta peine retenue et l'interdiction de laisser monter le désespoir. Tu es courageuse et généreuse. Il fait aussi te mettre en retrait. Apporter le soleil et en garder un morceau pour toi.
    Pour la Beauce ce n'est pas la mienne que tu as traversée. Tu as passé l'industrielle, celle qui fait du blé à la tonne. La mienne, si tant est qu'elle se laisse approprier, est celle des rois, des petits princes et de leur domaine de chasse et petits châteaux. C'est celle des vallons, de l'Eure et du Loir qui serpentent. Celles des fermes de village et des pigeonniers. Ses habitants n'y sont pas forcement plus aimables mais ses paysages sont plus riches.
    Orléans est à 45 mn de chez moi. Mais aujourd'hui je pense à cette femme et je sais qu'elle a de la chance de vous avoir toi et Gilles.

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    1. Je connais ta Beauce aussi et elle est belle! Mais, ruse de scribouillarde, je voulais détourner deux secondes l'attention...

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  6. Oui forcément on dort moins bien après avoir été exposé à tout ça. Que d'émotions, que de tristesse. Que c'est dur. Que ça peut arriver à chacune d'entre nous là demain tout de suite. Personne n'est à l'abri du cauchemar de ton amie. Elle a de la chance de vous avoir. Courage...

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  7. C'est vraiment très chouette ce que tu fais...

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  8. C'est souvent moche la justice.... Est-ce qu'on avait besoin de séparer une mère de ses enfants en attendant son procés? Les bracelets électroniques servent à quoi? pourquoi faire payer à toute une famille une faute qui peut être un cas de légitime défense? Une justice à 2 vitesses en fonction de la médiatisation (braquage de bijouterie)? Je suis triste après cette lecture. Est-ce qu'on peut être utile (envoi de courrier, de colis...)?
    Dany

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    1. Tout le monde se pose les même questions!!!
      Tu peux lui envoyer du courrier, elle aime lire (je te file le nom et l'adresse par mail si tu le veux) mais pour les colis je ne sais pas ce que l'on peut envoyer pour que cela passe (à part que ce doit être neuf et sous emballage d'origine).

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  9. ça n'est pas une belle histoire mais votre présence et votre amitié à Gilles et à toi la rendent plus jolie. J'espère aussi une issue heureuse, qu'elle puisse voir ses enfants grandir. Si elle aime les livres, peut-on lui en envoyer, histoire de mettre de la couleur dans ses pensées ?

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    1. C'est une bonne idée, lui envoyer des livres, des magazines, des lettres ou des cartes postales. Mais je ne connais pas les conditions d'entrée pour les bouquins et les magazines... Je te donne son nom et son adresse par mail si tu le souhaites.

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  10. tout d abord je te remercie toi mon amie ta présence ton visage tes regards ton calme l or de tes visites mon fait du bien oui j ai de la chance de vous avoir dans ma vie tes enfants gille et toi ma Anne.

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    1. L'amitié c'est réciproque... Je me répète mais: n'hésite surtout pas à venir!

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