lundi 4 mars 2019

"Ne fais pas l'oeuf!"

Me dit mon frère Gaétan.
"Ça fait tellement plaisir aux parents cette histoire de lapin de Pâques! Tu peux bien faire un effort pour sortir et pour chercher un peu." 
Farfada, sur le buffet, imite sa gestuelle en l'exagérant, Elle prend un air pontifiant absolument désopilant et je manque d'éclater de rire.
"Je suis sûr qu'ils se sont arrangés pour que les chocolats soient accessibles même avec ton fauteuil roulant!"
Mouais... On voit bien que ce n'est pas lui qui va galérer dans les graviers de la cour!
Et je suis certaine, en plus, qu'il va profiter de la moindre ouverture pour filer, disparaitre et me laisser seule avec les parents, mamie et Charlotte.  
Wilfrid, lui, n'a même pas daigné rentrer ce week-end. Il est en sortie avec des potes de l'internat, à Paris parait-il. Je me demande comment il va faire pour son linge. Qui il va trouver pour le lui laver. Maman, optimiste, lui a expliqué qu'il pouvait utiliser une machine et un sèche linge dans une laverie automatique. En gloussant bêtement elle a même expliqué (comme si on ne le savait pas depuis le  temps qu'ils le rabâchent) que c'est à la laverie qu'ils se sont rencontrés avec papa.
Papa, qui, il est fou, juste quand mes frères commencent à quitter la maison, fait des travaux d'aménagement. Il a déménagé le bureau provisoirement et le repeint, c'est joli d'ailleurs, Djinnou a semblé apprécier, un mur rouge foncé, les autres en crème. Il a fait des plans pour y installer un bureau et des rangements qui disparaitront derrière les panneaux coulissants.
"Comme ça je vais pouvoir installer un vrai lit deux places et en faire une chambre agréable"
Une chambre agréable? 
Mes parents me prennent-ils pour une gourde? A quoi jouent-ils? Croient-ils que je n'ai pas vu Charlotte commencer à apporter des affaires?
Mamie m'appelle.
"Ton ami Gildas est là!"
Rohhh... Mamie! Toujours à coté de la plaque! Mon ami Gildas!
C'est à cause de lui que je suis coincée dans ce fauteuil pour plusieurs semaines encore!
Joseph, avec humour, a fait remarquer que comme ça j'échappe au sport (il a raison, en plus!). 
Bon, je ne vais pas faire ma rancunière. Quand Gildas est revenu de ses trois jours d'exclusion pour s'être battu avec Joseph il a pris sa punition, "travail d'intérêt général" a décrété le principal (il est con ce type c'est juste pour moi que ce truc a de l'intérêt!), très au sérieux.
C'est lui qui me pousse du matin au soir, qui porte mon sac, qui ouvre l’ascenseur, qui remplit et porte mon plateau. Joseph était furax au début. Lui aussi il a été exclu trois jours. C'est lui qui s'est jeté sur Gildas quand, poussée d'une grande bourrade, j'ai fait un vol plané du haut en bas des escaliers. Le fait qu'il se soit battu pour moi, pour me défendre m'a beaucoup touchée, bien sûr, mais j'avoue que j'ai été soulagée quand il a accepté, en silence, la présence de Gildas à mes cotés à mon retour de l'hôpital. Petit à petit il a commencé à lui adresser la parole et je crois que leur rôle commun de chevalier servant les rapproche.
Gildas entre et me salue. Il n'ose pas encore me faire la bise.
Pourtant je lui ai dit plusieurs fois que je ne lui en voulais pas. Ce qui est fait est fait. Ma jambe est en voie de guérison, bientôt je pourrai marcher avec des béquilles et ils me retireront les broches l'an prochain (ou l'année d'après, il parait qu'il faut tenir compte de ma croissance. Ma croissance, la bonne blague!!!). Il a pris l’habitude de prolonger son "travail d'intérêt général" jusqu'à me raccompagner à la maison. Le premier jour il n'était pas fier. Il est allé voir mes parents et a présenté ses excuses. Pas mal joué! Je vois encore les poings serrés de Gaétan et le visage fermé de Wilfrid (les machos!), c'était plutôt chaud pour lui...
Petit à petit, chaque soir, il est resté de plus en plus longtemps à la ferme.
Il tourne autour des vaches, observe mon père, discute avec lui, pose des questions. 
L'autre jour il est rentré chez lui avec un chaton de la dernière portée de Néva.
Il me donne ma veste et m'aide à franchir le seuil puis a prendre le plan incliné (c'est Gaétan, très fier de ses compétences nouvellement acquises à l'atelier de menuiserie qui l'a construite). Maman a son appareil photo en bandoulière et le soleil brille. Papa sourit, mamie s'est emmitouflée dans un châle bleu et Charlotte a mis ce bonnet ridicule avec un pompon qu'elle voulait m'offrir mais que j'ai refusé de porter.
J’aperçois Genius derrière la touffe de romarin, les chocolats à portée de main l'enhardissent. Il sautille pour voir ce que nous faisons.
Je ronchonne: "Je croyais que l'on attendait Joseph!"
Papa ouvre la bouche pour me répondre quand la voiture bringuebalante de l'oncle Samir tourne dans le chemin.
"Ça c'est du timing!" S'exclame Charlotte.
Poignées de mains, Armir et papa s'entendent comme larrons en foire (c'est une expression de mamie qui est... Un peu bizarre, non?), bisous et c'est parti!
Joseph court partout, comme un petit gosse. Il s'exclame, il adore. Il fait des allers retour pour remplir le panier que je tiens sur les genoux. 
C'est vrai que pour lui c'est une première.
Il est tellement enthousiaste que je suis obligée de lui rappeler de laisser quelques œufs et chocolats pour Génius et ses copains. Il rit et se remet à courir à droite et à gauche pendant que maman prend des photos des bourgeons et du soleil dans l'herbe.
En fait il a raison Gaétan (Tiens, d'ailleurs où est-il passé?), c'est bien que j'ai fait l'effort, c'est sympa ce moment.
C'est bizarre, non? Il a fallu que je me blesse pour que je me rende compte que l'on tenait à moi...

Vous avez compris c'est la suite de l'histoire de Laurène et pour la suite c'est à vous...

4 commentaires:

  1. Poh ! POh ! Poh ! Tu m'épates ! Encore une fois c'est génial cette suite ! Merci !

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    1. Oh, merci! Je me sens moins seule sur ce coup là!

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  2. Oh mince pas vu avant ! me suis perdue dans les couloirs ou dans le labyrinthe de tous les textes à lire ces jours ci. Tu vas en faire un livre de cette histoire, elle sera géniale !

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    1. Merci! Un livre... Il faut beaucoup, beaucoup de mots.

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