mercredi 31 juillet 2019

Projet, second été. 1.

C'est un projet commencé l'été dernier. 
Que j'ai laissé maturer dans un coin, que je reprends et retravaille...

Il fait encore noir, ce matin, et Loïc sifflote en chargeant les bagages. Il a l'esprit tranquille de celui qui a tout réglé. Il a confié l'auberge à Claire, sa sœur. Et aucune arrivée n'est prévue ce week-end. Un barbecue est prévu et il sait que ses deux clients du moment seront bien pris en charge. Les coopérateurs vont faire tourner la maison pendant le week-end, Hugo en cuisine, Danièle au potager et Aurore à l'entretien. Il fourrage sous le capot, cale les sacs de voyage, la cagette dans laquelle j'ai empilé gamelles et croquettes pour Bravo. Il me prend des mains le sac de bouquins que j'ai trié pour les rendre, ou les donner. Et le sac de petits cadeaux pour les enfants. Je souris et je ronchonne pour le principe: 
"Je ne suis pas malade (enfin là c'est à voir, parce que mon café fait le yoyo dans mon estomac)!" 
Pendant que je m'installe sur le siège passager il maugrée: 
"Ben qu'est ce que ce sera quand le bébé sera là! Le coffre est plein..." 
Il referme le capot et je vois qu'il rit. Il est beau cet homme et j'en suis émue. Je vois dans son rire le rire de l'enfant qu'il a été, qu'il reste un peu encore. Son enfance, contée un peu par ci, un peu par là, par ses sœurs, par ses parents, affleure. Le petit garçon sans histoires, tranquille, dernier d'une fratrie de cinq. Le seul garçon, choyé, porté, trimballé par ses sœurs. Tantôt poupée vivante, tantôt boulet à traîner. Des parents, commerçants, qui vendaient des vélos, avant que cela devienne vraiment à la mode, peu présents. Je le regarde vérifier si le capot est bien fermé, ses cheveux en bataille et je l'imagine à l'école avec ses copains. Léonard et Rémi. Qu'il retrouvait le soir et pendant les vacances pour faire du vélo, pour aller à la piscine, construire des cabanes, vivre des aventures extraordinaires au fond des jardins, le long du canal. 
Notre enfant aura t-il sa sérénité, sa fantaisie tranquille? 
Il fait monter Bravo sur la banquette arrière, recouverte, comme il se doit, d'un plaid. Je le regarde s'installer dans la coccinelle rutilante. Il l'a lavée, briquée, pour l'occasion. 
Je me souviens que la première fois que je l'ai rencontré c'est surtout la couleur rouge cerise de sa voiture que j'avais remarquée. Je n'avais même pas vu comme il est grand, comme il est souple. Loïc c'est un frêne, élancé, solide. Présent. 
Je soupire d'aise en me calant dans le siège, il me sourit et démarre. 
J'attends quelques kilomètres avant de commencer mon interrogatoire: 
"Je connais l'histoire, bien sur, mais j'aimerais que tu me racontes ta version". 
Il se tourne, surpris, vers moi. Ses yeux verts un peu écarquillés, ses sourcils bruns relevés sous ses cheveux grisonnants (peut-être sera-t-il blanc avant ses quarante ans?). Je ressens comme un choc. Qu'il est sexy! 
"De quelle histoire parles tu?" 
De celle qui nous a réuni, au bout du compte, bien sûr. 
Je lui demande de commencer au début, pour lui. Au moment où il est entré dans le cercle. Celui des A. 
"C'est une commande, tu te rappelles? Les A veulent que j'écrive ce moment où ils ont franchis le pas, de la toile à la réalité. 
-Le cercle des A?" commença t-il. 
"Mon premier contact a été par Alice. Ou plutôt par Sylvain, qui était son compagnon, à l'époque. Sylvain était informaticien dans ma boîte et il parlait souvent, très souvent, d'Alice. Pas en bien: "Je suis en retard à cause de ma femme. Elle est enceinte. Et qu'est-ce que c'est pénible une femme enceinte." 
Loïc me fait un clin d’œil. 
"Je peux avoir une journée? C'est l'échographie. Ma femme tient à ce que j'y assiste. Elle est insupportable! Elle ne comprend pas que j'ai besoin de souffler après une journée harassante..." 
"Là, j'ai eu un doute". Commente Loïc. 
"Harassante? Sylvain n'en faisait jamais plus que demandé. Et encore... Lentement, tranquillement. Si j'avais eu à virer le moins rentable de mes gars ce serait lui que j'aurais choisi. Je me suis dit que sa femme devait drôlement être amoureuse pour le supporter. Je savais qu'elle avait pris un congé parental pour élever leur bébé. Un garçon, "le gosse", disait Sylvain. Elle avait perdu son job de commerciale dans une grande entreprise de cosmétique en début de grossesse et Sylvain racontait à qui mieux mieux qu'elle était à sa place à la maison. Le con!" 
Je regarde ses grandes mains sur le volant et je remonte le long de ses bras musclés, de ses épaules larges, jusqu'à son visage expressif. Loïc informaticien... C'est curieux, cela ne ressemble pas à ce qu'il est. C'est sa vie d'avant. Sa vie avec d'autres. Son adolescence entre Rémi qui collectionnait les petites amies, "une par mois" se vantait-il, et Léonard qui mettait enceinte la sienne à seize ans (si, si!). la vie où il a eu une petite amie, Adeline. Adorable, parait-il. Mais, m'a t-il dit, tiède, molle. Sans élan. Puis, elle l'a largué. Il a papillonné... Il avait, m'a t-il affirmé, presque perdu espoir de se "caser". 
Loïc profite d'un feu rouge pour me regarder en souriant. 
"Cela te convient comme récit?" 
Il me caresse la joue du dos des doigts, je frissonne, et réenclenche la première. 
"La maison justement! Qu'est-ce qu'on a pu en entendre parler! C'était sa maison. A elle. Au début de leur relation, au début de la grossesse, elle avait hérité. Elle avait hérité d'un oncle, ou d'un parrain. Un garage automobile, tout équipé, "obsolète" s'était exclamé Sylvain, surmonté de deux appartements "défraichis" soupirait Sylvain. Ils s'étaient alors installés au premier étage dans l'appartement de l'oncle (ou le parrain) qu'elle avait rénové du sol au plafond. "Elle veut faire pareil au second et le mettre en location. Si elle croit que se sera suffisant, comme revenus, pour l'entretenir?!" Pérorait le gus! "Elle veut un peu d'argent pour faire réparer sa voiture! Le gosse a un souci d'après elle. Il faut qu'elle l'amène à Paris pour des examens médicaux! Juste quand je dois m'acheter une voiture neuve!" Il s'était acheté une 306 CC!!! "Je lui ai dit qu'elle n'avait qu'à la réparer elle même sa voiture, puisqu'elle a un garage à elle!" Bon sang qu'il était con ce type! Un jour il est arrivé très énervé: "Non mais vous vous rendez compte!!! Depuis des mois elle fait partie d'un groupe facebook qui s’appelle SOS Belle Doche! Elle y discute de comment faire avec ma mère! Non, mais sans déconner! Ma mère! Qui voulait juste l'aider pour préparer le mariage, pour s'occuper du gosse! Je sais maintenant que c'est grâce à ses "copines" qu'elle a annulé le mariage! Trop de chichis qu'elle a dit!" Là je me suis dit qu'elle n'était pas si conne, plus si amoureuse, tous comptes faits, la femme de Sylvain." 
Loïc, qui vient de faire entrer la cocc sur l'autoroute, se tourne vers moi, me lance une œillade coquine: 
"C'est la première fois que j'ai entendu parler de vous, "SOS Belle Doche". Sur le coup cela m'avait fait sourire. J'ai pensé à ma mère et à ma grand mère toujours en train de se crêper le chignon." 
Il jette un œil au rétro, met son clignotant et continue en doublant un camion. 
"Quelques mois plus tard, la maison, le garage, sont revenus sur le tapis. Si j'ai bien compris il s'était mis en tête de vendre le garage et les appartements. Le second était rénové et loué en salle de réunions et bureaux provisoires. Il voulait acheter une maison de "bon standing" dans un quartier à la mode. La recommandation venait de sa "Moman..". Il avait essuyé un refus net. Sans appel. "Elle parle de rouvrir le garage! Elle a, paraît-il, pris des cours, vient d'avoir son BAC pro mécanique!"
Loïc en riait encore: 
"Il semblait si outré qu'une femme, sa femme, soit mécano. Qu'elle ne tienne aucun compte des apparences et préfère habiter dans ce vieil appart! Il a été la risée de tout le bureau. Mais bientôt nous n'avons plus entendu parler de rien... Jusqu'à ce qu'un jour, en début d'après midi, une Renault 15 bleu ciel débarque sur le parking." 
Loïc tourne la tête, vérifie que je l'écoute, que je le regarde, sourit (comme j'aime quand il sourit!):
"Ma boîte n'était pas bien grande, elle était logée, dans un bâtiment en L tout vitré et chacun avait vue sur le parking. La Renault 15 fît sensation. Surtout dans une boîte de mecs comme ça! D'autant plus que la fille qui en est sortie valait le coup d’œil! Une masse de cheveux bruns frisés maintenus en arrière par un bandeau rose vif, un débardeur de la même couleur que la voiture, une mini jupe à motifs psychédéliques et des compensées (à l'époque je ne savais pas que ça s’appelait comme ça). Une nouvelle cliente peut être? Plusieurs des gars s’apprêtaient à se mettre à sa disposition quand Sylvain s'est précipité à sa rencontre. Et ce n'était visiblement pas pour ses beaux yeux. Il l'a entrainée dans la salle de pause. Il y a eu des éclats de voix. Tu sais comme ça peut péter quand Alice n'est pas contente, hein! Je me suis dis qu'il y avait de l'eau dans le gaz et, comme je sortais pour aller chez un client, je me suis attardé près de la Renault 15. J'étais en train d'admirer la belle rénovation quand sa conductrice est revenue. Je lui dit comme je trouvais sa voiture bien belle. Cela la fît sourire. Elle l'avait reçue en héritage avec un garage et elle était, en quelque sorte, son chef-d’œuvre de fin d'études. 
"Oh!" Lui dis-je. "Vous êtes la femme de Sylvain!" 
"Non, non, son ex! Je n'ai jamais été sa femme, heureusement. Et cela fait quelques semaines déjà que je l'ai rendu à sa chère maman!" 
Elle était toute dressée sur ses talons. 
"Nous n'avons plus en commun que notre fils dont il ne daigne pas s’occuper". 
Ouh, qu'elle était fâchée! 
"Je viens de lui faire signer une décharge pour pouvoir le faire soigner sans avoir à lui en référer. Vous vous rendez compte! Il avait mis le contenu du garage en vente sur le bon coin!" 
Je ris. En effet je me souviens que c'est ce qui l'avait décidée à le mettre dehors. Elle l'avait surpris, quand elle était rentrée plus tôt, Louis étant fiévreux, avec un "client" qui s’apprêtait à charger dans un fourgon une partie des outils du garage. A quelques jours de la réouverture!!! 
Loïc vient de prendre la voie d’insertion pour une aire de repos. 
"Un café?" 
Il gare la voiture à l'ombre et il porte la bouteille thermos jusqu'à une table libre (Une thermos! J'aurais pu porter! Mais il me l'a prise gentillement des mains. Soupir!). 
"Là?" me demande-t-il. En approuvant d'un geste je me souviens des premiers mots que nous avons échangés. 
Lui: "Nous sommes drôlement contents de t'avoir retrouvée". 
Moi: " Merci. Mais je crois que je suis encore perdue". 
Jérémie m'avait alors prise par le coude en disant: 
"Nous serons là pour toi jusqu'à ce que tu te retrouves Je suis sûr que nous sommes doués pour ça."
Et il avait raison. C'est grâce à eux qu'avec les miettes de ce que j'étais j'ai réinventé ce que je suis. 
Loïc continue en buvant son café (pour moi ça ne passe pas. Pas du tout!): 
"C'est comme ça que j'ai rencontré Alice qui est devenue mon amie. Je ne croyais pas que ce soit possible, une amitié fille garçon, elle est si belle en plus, mais elle est mon amie, je suis son ami. Alice mon pote mécano. Nous avons passé des heures la tête sous le capot, ou à taper sur des tôles pour les redresser, ou le masque sur le visage à repeindre les ailes de tacots sans ABS ni GPS. Alice et son énergie incroyable, Alice et ses potes de SOS Belle Doche.

6 commentaires:

  1. je veux en savoir plus....la suite!!! ;-)
    Bonne journée

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  2. han j'adore !!! et j'attends la suite, avec impatience !<3

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  3. Hé ! hé! mais c'est le mari idéal que tu nous décris là ! je commence doucement à lire, je continue demain ! ;)

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