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vendredi 17 février 2023

Angel (fiction)

Elle ouvre les yeux dans le noir en cherchant ce qui a bien pu la réveiller. Marc ronfle à ses cotés mais ce n'est pas cela qui a mis ses sens en alerte. Elle écoute et ne détecte rien d'anormal.

Elle s'interroge, encore. Pourquoi est-il rentré? Pourquoi continue t-il a faire comme si de rien n'était. Il va falloir mettre les pieds dans le plat. Jamais il n'aura le courage de mettre fin à cette mascarade.

Angel se lève sans précautions particulières, mais s’abstient malgré tout d'allumer la lumière. Elle enfile ses chaussons, son sweat et se dirige vers la porte. Encore une fois, elle manque de s’étaler en se prenant les pieds dans les vêtements de son mari jetés au sol. Il se déshabille toujours dès le seuil et sème pull, pantalon, chaussettes et caleçon au long de son trajet jusqu'à son coté du lit.

Elle bute sur son téléphone portable. Heureusement qu'elle n'a pas marché dessus. Il s'éclaire, non verrouillé et elle a le temps d’apercevoir la photo de fond d'écran avant de quitter la pièce.

Elle repousse la porte, écoute. La maison est calme, comme le quartier. Pourtant quelque chose, ou quelqu'un l'a réveillée. Aux lueurs de l'aube elle estime qu'il est 5 heures, plus ou moins.

Angel espère qu'il a bien fermé la porte, qu'il a bien caché la clef. La dernière fois qu'il a négligé de le faire elle s'est perdue pendant plusieurs heures. Maddie. Il a fallu demander de l'aide aux gendarmes qui l'ont retrouvée en chemise de nuit errant dans les rues à la recherche de sa maison. Cette fois encore, il ne s'est pas excusé. Mais il a promis de parler à ses frères et sœurs de l'obligation d'une prise en charge plus lourde, d'un éventuel placement. C'était il y a des mois. Ou ils sont longs à la détente ou il n'a rien dit, rien fait.

La porte de Maddie est entrouverte. Elle n'est plus dans sa chambre. Le cœur d'Angel accélère, pourvu qu'elle ne soit pas dehors! Il fait encore très froid le matin.

Un bruit résonne dans la maison. Suivi d'un gémissement sourd.

C'est bien Maddie. Elle n'est pas dehors. Marc a bien fermé la porte.

Angel remonte le couloir. Comme presque à chaque fois qu'elle le fait elle râle intérieurement: elle n'aime pas cette maison. Froide, clinique, impersonnelle.

Elle trouve Maggie devant la porte d'entrée. Prête a sortir, son manteau bien boutonné, l'écharpe et les gants bien ajustés. Ses jambes maigrelettes, vacillantes sur ses pieds nus, dépassant de son pantalon de pyjama.

"Maggie?"

Elle s'approche doucement, ne pas l'effrayer. 

"Où vas-tu?"

Maggie ronchonne, en secouant la poignée: "Je vais être en retard, mon patron va me faire une vie!"

Ok, elle est dans sa période jeune femme.

"Maggie, c'est férié aujourd'hui, tu te rappelles? Ton patron ne t'attend pas. Tu peux prendre ton temps. As-tu seulement déjeuné?"

Tout doucement Angel la prends par le coude, la tourne vers elle. Lui sourit.

Le regard de Maggie est trouble, vacillant. Elle hésite.

"Ah? Tu es sûre?"

Elle ne la reconnait pas. Elle n'est pas l'une de ses sœurs, ni sa mère. Une copine? Une voisine? Maggie, sais, elle, que Maggie ne sait pas qu'elle est sa belle fille.

Mais elle plie sans difficulté.

"Oui, un petit déjeuner, c'est une bonne idée. Tu as du pain grillé?"

Angel l'aide à retirer gants, écharpe et manteau, en chantonnant doucement. Elle sait que cela l'apaise le plus souvent. Maggie a toujours aimé la musique. 

Elles entrent dans la cuisine. Un rêve de cuisiniste cette cuisine. Pas le rêve d'Angel. Peut-être celui de Line?

Elle installe Maggie à table. Heureusement qu'elle a insisté pour qu'il y en ait une et pas seulement un mange debout. Pauvre vieille dame qui aurait été obligée de se percher sur un tabouret de bar!!! 

En préparant le café Angel rumine un peu... Sait-elle seulement vraiment qui elle est? Un peu comme Maggie perdue dans sa tête et dans le temps, elle s'est perdue ici. Angéline pour ses parents, elle est vite devenue Angel. Mais pas pour Marc, qui depuis leur rencontre, s'obstine, malgré ses objections, à l'appeler Line. Plus classe...

Elle allume la radio en sourdine. Met du pain à griller. 

Maggie sourit dans le vague.

Angel pose légèrement sa main sur son épaule. Que va-t-elle devenir?

Quand elle est arrivée ici, quelques jours après le décès de son mari, elle ne devait rester que le temps de s'en remettre. Comme si elle pouvait. S'en remettre. Les troubles, les absences ont commencés très rapidement et son retour chez elle s'est avéré impossible. 

Angel, alors que les filles venaient à peine de quitter la maison, s'est retrouvée aidante familiale. 

Elle sort les bols. Le rose pour Maggie, celui en verre pour elle. Des repères.

Les couverts, le beurre, pour Maggie, la marmelade d'orange, pour elle. Le sucre. Maggie aime son café très sucré. Cela fait râler Marc, ce n'est pas bon pour sa santé. Mais c'est bon pour son moral et puis s'il n'est pas content...

Maggie parle de ses collègues, des filles superficielles et coquettes. De ce jeune homme, un voisin de sa copine Lucette, qui lui fait de l’œil. Elle n'attend pas de réponses, elle tartine généreusement ses tartines grillées de beurre. Elle les mangera. Ou pas.

Angel se dit que la journée va être bien longue. Elle a, au fur et à mesure que l'état de Maggie se détériorait, dû renoncer aux activités qui remplissaient ces journées, gym, poterie, club de lecture, sortie avec l'une ou l'autre de ses filles.

Elle s'est effacée de la société. Est-ce à ce moment, ou avant, que Marc est passé de passades passagères à une liaison permanente?

Angel se sert un verre de jus d'orange, sourit à Maggie qui rit aux éclats d'une anecdote vieille de plusieurs décennies. Elle attrape le crayon dont se sert sa belle mère pour faire des mots croisés, une vieille enveloppe et commence à faire une liste:

  • Prendre contact avec les frères et sœurs de Marc et leur parler de l'EHPAD spécialisé recommandé par le médecin de Maggie.
  • Trouver un logement pas trop loin de chez les filles.
  • S'inscrire au pole emploi. 
Peut-être commencer pas ça. Non? Sa copine Nouria pense qu'il doit être possible de valider les acquis et compétences d'aidant familial... Sauf que ce n'est pas ce dont elle rêve. Retrouver un poste d'enseignante?

Comment a-t-elle accepté, petit à petit, épuisée par la naissance des jumelles, de renoncer à son emploi, à une "carrière"? Comment a-t-elle pu se satisfaire d'être une femme au foyer? Marc avait des arguments imbattables: cela coûtait plus cher de travailler, garde d'enfant, femme de ménage (il n'allait pas s'abaisser à "aider"), seconde voiture, que d'être à la maison. Quelle conne!

Maggie, qui a reconnu son crayon, tend la main vers son magazine. Angel le lui rend.

Comment a t-elle pu l'aimer?

Maggie se penche sur la grille 25, niveau 3.

Angel débarrasse et passe l'éponge. Donne la gomme à Maggie qui la remercie.

Elle va avoir un peu de temps pour prendre sa douche, s'habiller.

Elle se sera prête quand Marc se lèvera. Prête pour le mettre face à ses responsabilités. Face à la photo de fond d'écran de son téléphone portable. Que fait-il encore là alors que sa nouvelle femme? compagne? copine? est enceinte jusqu'aux yeux?

Ça se trouve elle attend, elle aussi, des jumeaux... 

Et Angel se demande s'il serait malséant de lui dire qu'il ne lèvera pas le petit doigt pour l'aider, pour partager sa vie, ses joies et ses corvées, après l'accouchement.

4 commentaires:

  1. waouh..j'adore te lire..j'ai envie de connaître la suite!
    Bon samedi !

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    1. C'est gentil. Je travaille doucement, chaque chapitre doit murir...

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  2. ah zut...c'est moi l'anonyme !

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