Pages

samedi 3 août 2019

Projet, second été. 2.

C'est un projet commencé l'été dernier. 
Que j'ai laissé maturer dans un coin, que je reprends et retravaille...
Une petite demie-heure plus tard nous avons repris la route. 
J'ai pris le volant. Loïc me le laisse sans difficulté (ce qui n'est pas le cas pour sa sœur) puisque j'ai, moi aussi, une voiture "vintage". 
Une Amy 8 bleu canard dont j'ai refait toute la sellerie avec de la toile jaune moutarde. Une voiture qu'Alice a rénovée, bien sur! Cela a été l'un de mes projets au long de la pente que j'ai remontée grâce aux A. 
Loïc s'installe confortablement et ferme les yeux. 
"Je te raconte la suite? Tu la connais pourtant?" 
Je lui réponds: 
"Non, pas tant que ça. On ne se connaissait pas à cette époque. Je ne sais pas comment tu es entré dans notre cercle. Comment tu t'es retrouvé dans cette aventure?" 
Je lui jette un œil. Il semble dormir. Oui, il dort. Il a cette capacité incroyable, qu'avait aussi Laurent, de s'endormir rapidement. L'esprit tranquille. C'est d'ailleurs comme ça qu'il s'est éteint, Laurent, d'un coup, comme on coupe la lumière en appuyant sur un interrupteur. 
Je me concentre sur ma conduite, je ne prends pas souvent l'autoroute, et mon esprit dérive sur ce que m'a raconté Loïc. Oui, je connais l'histoire. L'autre versant. Alice s'était inscrite sur SOS Belle Doche quasi dès le début. Un jour ou deux après que j'ai créé la page. 
Et nos difficultés communes nous ont vite rapprochées. Même si, tous comptes faits, nous étions loin de vivre la même chose. Face à ma belle-mère je n'étais pas seule. Laurent me soutenait. Sa mère l'agaçait, l’horripilait tout autant que moi. Nous avions établi un plan, nous ne la laissions approcher, repas dominical, chez elle, qu'une fois par mois. Communications téléphoniques limitées à deux par semaine et pas plus de dix minutes (vive la présentation du numéro). 
Pour Alice c'était une autre paire de manches! "Son" Sylvain ne faisait rien sans sa mère. A part la mettre enceinte, problème de préservatif, paraît-il (Alice: "Ça se trouve comme sa mère ne lui a pas montré comment faire alors il ne sait pas faire!"). Il passait des heures au téléphone avec elle. Elle l'inondait de SMS, elle débarquait à toute heure avec de la nourriture. Son fils "méritait" de bons repas (!). Emportait le linge, le sien, à repasser, ramenait les chemises plus nettes que si elles sortaient du pressing (Alice: "Et ça se trouve..."). Au début elle avait entrepris de combler les manques, de lui montrer comment repasser une chemise (Il avait carrément tourné le dos: "Maman le fait très bien!"), comment cuisiner un repas correct, comment mettre en route le lave linge, le lave vaisselle. Sans succès. Sylvain s'en remettait toujours à sa chère maman (Alice: "Et il n'en fiche pas une ramée!"). Alice prenait de plus en plus mal les incursions de "belle maman" dans le quotidien qu'elle essayait de bâtir avec Sylvain. Elle ressentait comme une agression cette manière de manœuvrer pour la faire culpabiliser. Tout en elle se révoltait face à cette femme énorme dans tous les sens du terme. Elle qui réussissait l'exploit d'être à la fois tout en rondeur et tout en dureté. Alice, au début, c'était interrogée sur ce qui l'avait ainsi façonnée. Par quels traumatismes elle était passée pour n'être plus que reproches, pour être devenue ce genre de tyran domestique. Puis elle avait renoncé à comprendre... "Big mama" était irrécupérable. Et toxique. Elle semblait décidée à lui pourrir la vie. Même l'annonce de la grossesse lui avait échappé. "Big mama" s'était répandue dans les rues de la ville sur la bêtise des jeunes avant que le test n'ait eu le temps de sécher. Avant qu'Alice n'ait eu le temps d'en parler à sa mère, à elle. Bref pour "Big mama" elle n'était pas une bonne "fiancée", incapable de prendre correctement en charge "son" ménage. 
D'ailleurs elle avait totalement foiré son mariage. Car, sur les conseils de sa mère, Sylvain l'avait demandée en mariage. Il fallait "assumer" sa paternité (ses conneries). Puis "Big mama" avait pris les choses en main (si elle ne les avait pas déjà!) et avait commencé les préparatifs du mariage. Je me souviens du ton de plus en plus affolé des messages d'Alice sur SOS Belle Doche. Tout lui échappait. Le choix de la date (Le plus tôt possible, avant que cela ne se voit. Alors qu'elle avait mis tout le monde au courant de "son" infortune!), la salle, la liste des invités, le plan de table, la déco... 
Le groupe des A s'était concerté devant sa panique. 
Même la cérémonie lui était imposée "Pour faire plaisir à Sylvain" ou "Pour faire plaisir à maman".
Les A sont arrivés à la conclusion qu'on ne se mariait pas pour faire plaisir à quelqu'un. Ne fût-ce celui qu'on aime. D'autant plus qu'Alice ne parlait pas particulièrement d'amour quand elle parlait de Sylvain... Et de conseiller à Alice de faire le point sur ce qu'elle souhaitait, réellement. Elle. A partir de là se fût vite réglé: 
Elle ne voulait rien de tout ce salamalec. Elle voulait juste pleurer son parrain, qu'elle venait de perdre (Sylvain: "Voyons, ma chérie, ce n'était que ton parrain!") et mener à bien cette grossesse surprise. Elle annula le mariage, au grand dam de "Big mama" et du futur marié, et mit son énergie à aménager son nid dans l'appartement de son parrain, au dessus du garage. 
"Parc naturel régional de la Brenne" dit le panneau au bord de la route. 
Loïc ronfle doucement. 
A partir de son installation chez elle, au dessus du garage, la page de SOS Belle Doche n'enregistra plus de plaintes contre "Big mama". Elle lui avait interdit l'accès de son domaine. 
La seule fois où "Big mama" essaya de passer outre elle resta essoufflée sur le palier. Alice referma fermement le porte sur elle. Et Sylvain eu beau argumenter, pleurnicher, elle ne céda pas. Elle lui mis le marché en main: sa mère ou elle. Il pouvait la voir, lui parler tant qu'il voulait mais pas chez elle. Il céda. Il avait l'habitude de céder... 
Alice devient la Warrior du groupe. L'héroïne du cercle des A. Elle avait pris suffisamment d'assurance pour pouvoir donner des conseils à Annabelle pour rembarrer Odette, à "Albus" pour faire capituler Martine. Elle soutenait Andrée dans le "largage" de Joséphine et elle trouva une parade infaillible (mais difficile à mettre en œuvre sur la durée) pour moi (et pour Laurent) face aux attaques de Thérèse: le silence. Le silence ou la dérision. 
Thérèse, ma belle doche à moi, la vertu incarnée, savait toujours tout mieux que tout le monde. Elle savait toujours ce qui était bon pour tout le monde. Et ce n'était jamais ce que "tout le monde" avait choisi comme option. Rien de ce que son fils, Laurent, faisait (mal conseillé qu'il était par moi, sans doute) n'était bien. Il reprenait la maison de son arrière-grand-mère, c'était une mauvaise idée. La maison n'était pas bonne. Trop de malheurs y avaient eu lieu (ça se trouve s'il l'avait écoutée...), elle était vétuste, vielle, moche. La fille de la voisine de la première adjointe avait fait construire un pavillon, clef en main, si joli, si pratique... Il achetait une voiture neuve, une Dacia, elle citait aussitôt le cousin Machin ou le voisin Truc qui, pour le même prix, avaient acheté une belle occasion avec toutes les options. Son travail? Elle parlait illico de celui d'un que connaissait sa "copine" (une voisine dont le seul plaisir était de tailler des shorts aux habitants de la rue). Il faisait du tennis, elle parlait foot... Cela ne choquait même plus (pas?) Laurent. Il était devenu, en quelque sorte, sourd à ses simagrées. Mais pour moi c'était éprouvant. A ses yeux je n'étais rien. Elle faisait mine d'avoir oublié mon prénom, Vanessa, utilisait celui d'une des ex de Laurent ou celui de la gosse de la voisine. Difficile de ne pas se mettre en rogne! Même maintenant je sens mes nerfs se tendre en pensant à ses remarques perfides. Comme cette fois où, toute heureuse d'avoir obtenu un poste de bibliothécaire responsable d'une petite médiathèque à vingt minutes de chez nous, je parlais de la structure avec enthousiasme. Elle enchaina sur le champ sur la magnifique médiathèque de la ville d'à côté. Si bien dotée, elle, et idéalement située dans un quartier où la culture était la norme (elle n'avait jamais mis les pieds dans une médiathèque, le mot même de médiathèque était une grossièreté pour elle. Et l'idée qu'elle se faisait de la culture recouvrait celle d'un champ de colza. Seule plante qu'elle reconnaissait. Et encore! Quand il était en fleurs.). 
Grâce aux conseils d'Alice je réussissais, presque à chaque fois, à ignorer ses sorties. A faire comme si je n'avais pas entendu. J'avais même réussi, quelques fois, Laurent pouffant à mes côtés, à la reprendre quand elle se "trompait" de prénom: 
"Non Thérèse, moi c'est Gertrude (ou Angèle, ou Nathalie), pas Nicole" 
Je suis certaine que si nous avions réussi à avoir des enfants elle nous aurait parlé des dents du bébé de la coiffeuse, des notes du neveu du maire... 
Loïc me regarde les sourcils un peu levés. Je devais avoir froncé les miens (Ne guérit-on jamais des offenses passées?). 
"Quoi?" demande-t-il. 
Je lance: 
"C'est Alice n'est ce pas? Pas seulement son garage et les voitures qui t'a attiré dans notre cercle? Tu la trouvais à ton goût, n'est ce pas? 
- Ben, tu l'as vue! Évidemment que je la trouvais à mon goût. 
- En fait à l'époque, comme tu le sais, nous ne nous étions jamais rencontrées autrement que sur la toile... 
- Elle était à mon goût mais j'ai eu vite fait de comprendre qu'elle n'était pas pour moi. Personne ne pouvait l'approcher après cette expérience désastreuse avec Sylvain. Quand nous avons travaillé sur la cocc ou sur l'informatique du garage puis sur la structure de l'association, elle n'a jamais parlé amour. A part, bien entendu, celui qu'elle portait à son fils. 
- Elle était si inquiète pour lui. Même si c'était son premier elle s'était rendu compte très rapidement que quelque chose n'allait pas. Et ce n'est pas Sylvain, qui ne s'est jamais posé de questions ou "Big mama" ("Laisse le pleurer!") qui l'ont soutenue sur ce coup-là! Quand je pense qu'elle a dû réparer elle-même sa voiture pour pouvoir l'emmener en consultation à l'hôpital! Cela lui a servi d'inspiration pour orienter sa vie mais quand même, sur le moment, ça a été une vraie épreuve pour elle. 
- Oui, là elle a compris qu'elle ne pourrait jamais compter que sur elle-même. 
- Et sur ses parents quand même. Ils ont pris le relais auprès de Louis pour les consultations, les opérations puis son entrée à l'école quand elle a pris des cours de professionnalisation pour relancer le garage. 
- Quand je suis devenu son ami elle venait de rouvrir et commençait à se faire une clientèle. Son idée de faire participer le client, comme aide mécano, pour faire baisser les prix a fait fureur dès le départ auprès des gens qui ne peuvent, ou ne veulent, pas s'acheter de voiture neuve pleine d'électronique. Son énergie me fascinait. Elle me fascine toujours d'ailleurs. Elle commençait déjà à fédérer ce groupe de mécanos amateurs ou retraités autour du projet de fournir des voitures aux chômeurs et aux travailleurs pauvres. C'est grâce à ça que j'ai commencé à réfléchir à un autre projet que ma boîte d'informatique. Ce projet qui a commencé à prendre forme quand nous t'avons retrouvée. 
- Je n'étais pas plus disponible qu'Alice alors... 
- Non, mais j'étais prêt à t'attendre. Et je t'ai attendue." 
Je souris: 
"Et tu m'as attendue.
- Hey! C'est la prochaine sortie! m'interpelle Loïc. Nous ne sommes plus qu'à un quart d'heure".

4 commentaires:

  1. j'adore te lire...
    Bon dimanche

    RépondreSupprimer
  2. je lis doucement mais sûrement ! C'est amusant il y a un peu de ta vie personnelle dans ce récit et sûrement plein d'autres chose ou personnes que je ne connais pas. Ah !!! les belles mères ! je n'ai pas connu ce problème heureusement !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi non plus, la mienne était plutôt cool avec ses belles filles.

      Supprimer